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Notre numéro du Printemps

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Test Personnalité

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Test Personnalité

En quête de beauté et de rareté
Une conversation avec Ceil Pulitzer

Entretien avec Susan Kloman

Au cours des trente dernières années, Ceil Pulitzer a patiemment assemblé une collection d’art africain remarquable tant par sa qualité que par sa sensibilité. Citoyenne du monde, elle apprécie l’art, la culture et la beauté sous toutes ses formes, mais l’Afrique tient une place privilégiée. Ceil mène tambour battant une vie qu’elle dédie à sa famille, à la philanthropie et à la culture. Elle jouit d’une position particulière en tant que femme collectionneuse, d’autant plus dans le domaine de l’art africain. Chacune des pièces de la collection Pulitzer fait écho avec force aux sujets qui nous rassemblent en tant qu’êtres humains — le concept de prospérité, la dévotion, le pouvoir, la peur et l’ordre. Comme tant de ses prédécesseurs artistes, elle s’intéresse également aux antiquités, à l’art précolombien, à la peinture ancienne, aux œuvres picturales d’Amérique du Sud, à l’art océanien et amérindien — pour ne citer que quelques-uns de ses domaines de prédilection. Elle est sensible depuis longtemps à l’immédiateté et à l’intemporalité qui émanent des œuvres d’art africain. Comme elle le dit ­elle-même : « L’art africain est le plus intéressant des arts. » J’ai eu le plaisir de parler avec Ceil et son époux Michael de sa collection et de ses passions.

Susan Kloman : Qui ou qu’est-ce qui a inspiré votre collection ?
Ceil Pulitzer : En tant que peintre, l’appréciation de l’art m’a elle-même inspirée. Et quand je ne peignais pas autant que je l’aurais voulu, collectionner l’art africain m’a permis d’exprimer ces impulsions créatives, émotionnelles et artistiques. Vous savez… c’est le fait de collectionner des œuvres qui possèdent une grande richesse visuelle. Et ces objets, ces statues m’émeuvent réellement. Je dialogue avec eux. Ils font partie de ma vie. Ma relation avec eux est artistique et émotionnelle.
Les civilisations africaines sont particulièrement complexes, hiérarchisées, rituelles et profondément belles. Elles représentent le summum de la création. De toutes les pièces que vous voyez ici, chacune raconte une histoire profondément importante.
Je ne peux pas dire que ma propre expérience en tant qu’artiste a été aussi notoire. Mais j’ai adoré peindre et je peins toujours. J’ai appris seule à connaître l’art africain. De manière complètement autodidacte. Je n’ai été voir personne, pas une seule fois. Même à la Art Students League. Aucune de mes connaissances ne s’intéressait à l’art africain. Avant cela, j’étais allée dans des écoles de sœurs, des espaces cloîtrés. Mais j’étais un esprit libre, donc nous dirons que je n’ai pas beaucoup apprécié cette partie de mon éducation. J’étais toujours à la recherche de nouvelles idées, d’aventures.
Finalement, l’une des raisons pour lesquelles je collectionne est que je ne peins plus beaucoup. L’art africain peut être si contemporain — actuel dans son intemporalité. C’est passionnant.

S.K. : Avez-vous toujours été collectionneuse ? Par exemple, dans votre enfance, collectionniez-vous les timbres ou les coquillages ?
C.P. : Je ne sais pas si j’ai collectionné sérieusement quand j’étais enfant. J’ai étudié la peinture, le dessin et la gravure. J’ai aimé collectionner les peintures et les gravures de mes amis artistes et de mes mentors, tel Oskar Kokoschka, mais ce n’était pas fondamental. Je me considère comme une peintre et une graveuse avant tout. Je voulais continuer à peindre, mais je ne l’ai pas fait, je n’ai pas pu. J’avais trop d’obligations.

S.K. : Diriez-vous que votre activité de collectionneuse aujourd’hui est plus une extension de votre nature artistique et de vos intérêts que l’expression d’une personnalité de collectionneuse invétérée, qui collectionne pour collectionner ?
C.P. : C’est en effet ce que je pense. J’adore regarder tout type d’art. Mais je dois également dire que la première fois que je me suis rendue en Afrique, j’y allais pour apprendre la culture, voir les animaux et les paysages et écouter la musique. J’ai adoré les gens ; tout me plaisait. Et c’est toujours le cas. J’ai adoré en apprendre plus sur les rituels. C’était tellement important pour moi. Apprendre quelque chose de si différent de notre univers quotidien. Grâce à ces expériences, je me suis également impliquée dans l’aide aux enfants en Afrique.
 
S.K. : Voulez-vous nous en dire plus sur vos projets philanthropiques en Afrique ?
C.P. : Nous avons créé une fondation en Éthiopie appelée Play Therapy (Thérapie par le jeu), qui aide les enfants à se remettre de leur expérience de la guerre en Érythrée. Cette terrible guerre a duré pendant des années et a eu un épouvantable impact sur les enfants. Tant de familles se sont retrouvées isolées : femmes et enfants. J’en ai eu le cœur brisé, car je suis aussi une mère. Être témoin de cette douleur, du traumatisme causé par ce conflit armé m’a touché personnellement. J’admirais le travail que menait Catherine Hamlin au Addis Ababa Fistula Hospital, et ce qu’elle a fait pour aider les femmes qui souffraient1. Il faut mentionner également l’important travail effectué en Ouganda par la clinique Soft Power, fondée par Jessie Stone. Nous avons aussi travaillé avec le docteur Upmanu Lall du Columbia Water Center. Il a développé avec succès des systèmes d’ingénierie servant à transporter l’eau là où il en manque. Ce sont de vrais héros. Nous avons soutenu encore d’autres projets en Afrique, notamment en Sierra Leone et au Kenya où nous avons subventionné les premiers tests HIV et le développement de traitements. J’aurais dû tenir un agenda. Je ne parle pas beaucoup de ces expériences parce que j’étais très occupée par ce travail et l’interaction avec tant de gens différents. Nous avons beaucoup voyagé en Afrique, et j’ai pu, à de nombreuses occasions, partager ce vécu avec ma famille. Ce sont des souvenirs importants et exceptionnels.

S.K. : Quelle est la plus grande leçon que vous avez apprise et que vous souhaitez transmettre aux futurs collectionneurs ?
C.P. : Ce que je leur conseillerais, avant tout, serait de trouver les personnes qui pourraient les aider. Allez chercher les meilleurs. Lisez autant que possible sur les œuvres et apprenez, pour de vrai.

S.K. : Comment envisagez-vous le rôle des musées vis-à-vis des collectionneurs ?
C.P. : L’éducation. On n’en n’a jamais assez. Tout voir. Vraiment tout regarder. Et il est également important d’étudier les cartes et de comprendre la géographie pour approfondir l’apprentissage de l’histoire de l’art.

S.K. : Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a pas plus de femmes collectionneuses d’art africain ?
C.P. : Eh bien, c’est un manque d’éducation. C’est la raison principale, mais il y a d’autres explications. Je pense que les gens, pas seulement les femmes, collectionnent souvent ce qui est populaire, ce qui vient d’un manque d’éducation et d’ouverture — il leur manque le sens de l’aventure. L’art africain est grandement sous-estimé parce que la plupart des gens ne sont pas assez audacieux, mais aussi parce que l’art africain est si expressif. Ce n’est pas fait pour tout le monde. Je suis un peu rebelle de nature et j’adore regarder autour de moi et voir ce qui se passe. Cela a sans doute été un avantage dans mon rapport à l’art africain.
S.K. : Si vous pouviez remonter le temps, quel conseil donneriez-vous à la jeune collectionneuse que vous étiez ?
C.P. : J’aurais commencé plus tôt et je me serais entourée des meilleurs, dès le début. J’ai appris plus tard que bien des collectionneurs achètent des pièces sans être bien conseillés, et commettent donc des erreurs.
Michael Pulitzer : Ce n’est pas toujours si terrible. Il y a un masque dans la pièce voisine que Ceil possède depuis des années. Elle l’avait déjà quand nous nous sommes rencontrés, et il fait maintenant partie de l’histoire de notre famille. Nos enfants s’amusaient à lui mettre une pipe dans la bouche et des lunettes de soleil !
C.P. : Oui, c’est vrai. J’ai gardé ce masque même s’il n’est pas ancien, parce que je l’aime encore. J’ai d’ailleurs toujours été fascinée par les masques du monde entier, en général.

S.K. : C’est courageux de votre part d’avoir appris de vos erreurs et d’avoir continué à collectionner au lieu d’abandonner et de conclure que le domaine de l’art africain est problématique et qu’il ne vaut pas la peine de s’y intéresser davantage.
C.P. : En réalité, il existe des escroqueries dans tous les domaines de l’art. Pas seulement dans l’art africain. Il faut parfois en passer par ces erreurs pour apprendre à regarder et comprendre comment faire plus attention.

S.K. : Quel objet aura marqué un tournant dans votre collection ?
C.P. : Eh bien… c’est sans doute cette masquette dan (fig. 3). Incroyablement belle, contemporaine dans ses formes et sereine, c’est toujours l’une de mes pièces favorites.
De l’autre côté, j’ai cette drôle de sculpture qui représente la reine Victoria (fig. 11). Elle m’amuse tellement. J’adore cette parodie si inventive. Pour moi, l’amusement et la joie de l’humour qu’on rencontre lors des voyages ou en étudiant l’histoire sont également si importants.

S.K. : Quelle est votre œuvre favorite, toutes catégories confondues ?
C.P. : Je m’intéresse à trop de choses pour pouvoir ne sélectionner qu’une œuvre. Gardons cette question ouverte.

1. NDT : « Les fistules traumatiques sont une des conséquences des viols de guerre particulièrement violents ».

Cet entretien s’inspire de l’ouvrage à paraître en décembre 2020 Beauty Unusual: Masterworks from the Ceil Pulitzer Collection of African Art, par Susan Kloman
Publié en anglais et en français par 5 Continents Editions
24 x 28 cm, 176 pages, illustrations en couleur
ISBN : 978-88-7439-951-2. Relié, 65 euros



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